Karpala : il métamorphose un dépotoir en un parc d’attractions écotouristique
Dans le quartier Karpala, à Ouagadougou, un site attire depuis quelque temps la curiosité des habitants. Là où s’étendait autrefois un dépotoir insalubre, se dresse aujourd’hui un espace verdoyant où cohabitent nature, art et animaux. À l’origine de cette métamorphose, Komi Ibrahim, connu sous le nom d’artiste Artkomi, un plasticien et fondateur du lieu. Il n’est plus à présenter. Six ans plus tard, le site s’est imposé comme un véritable parc d’attractions écotouristique.
« Je suis le réalisateur et fondateur de cet espace culturel. Ce qui m’a motivé, c’est avant tout l’amour de la nature et le désir de révolutionner le secteur artistique de notre pays », confie-t-il, le regard fier.
Un rêve né dans son propre quartier
C’est à Karpala, son quartier d’enfance, que tout a commencé. « Je voulais que le premier exemple parte d’ici, afin qu’il inspire d’autres communes », explique-t-il. Le choix du lieu n’a pas été anodin : le terrain, autrefois redouté des habitants, servait de décharge. « Personne n’osait traverser ici la nuit », se souvient M. Komi.
Animé par la conviction que « rien n’est impossible quand on a la volonté », l’artiste a entrepris seul la transformation. Un pari audacieux qui lui a valu scepticisme et incompréhensions au départ : « On m’a traité de tous les noms, mais personne ne comprenait ce que je faisais ici. Aujourd’hui, je réalise un rêve ».
Un espace écologique, artistique et pédagogique
Sur place, on découvre une diversité d’animaux : babouins, autruches, pélicans, cigognes, grues couronnées, tortues géantes, serpents, singes, chacal, volaille et poissons.
Les visiteurs peuvent également flâner autour des grottes artificielles, des bassins à poissons, et même d’un bateau artificiel construit en ciment flottant qui attire la curiosité des visiteurs. « J’ai tout fait de mes mains : les grottes, le bateau, les bassins, tous les arbres je les ai plantés », confie l’artiste talentueux sur le décor apaisant, idéal pour « équilibrer l’attention et la santé mentale ». Malgré la modestie des moyens, le lieu témoigne d’une grande ingéniosité.
« Je travaille en partenariat avec le ministère de l’Environnement, notamment pour la sensibilisation à la protection des espèces », précise le passionné de l’art plastique et des animaux. L’accès au site reste symbolique, 100 francs cfa pour les enfants, 500 francs cfa pour les adultes, parfois plus, selon la générosité des visiteurs.
Le bateau artificiel de Karpala chargé d’histoire et de symboles
Pourquoi une embarcation dans un pays sans mer ? Komi Ibrahim sourit : « Ce bateau symbolise le voyage et les portés disparus, ces migrants partis chercher une vie meilleure et dont on n’a plus de nouvelles. C’est un hommage à tous ces voyageurs que la mer n’a pas ramenés. »
Un cri du cœur pour la culture et la jeunesse
Malgré les obstacles administratifs et l’absence de financement, l’artiste persiste. « Tout a été fait sans appui, sans partenaire. J’ai vendu mes biens pour donner vie à ce projet. Ce n’est pas pour moi, c’est pour mon pays. » Il espère aujourd’hui un soutien des autorités pour pérenniser son œuvre : « J’attire leur attention sur la nécessité d’encourager le secteur culturel. Il n’est pas permis à tout le monde d’être artiste, ni d’oser comme nous le faisons. Beaucoup ont du talent, mais manquent de courage et de soutien.»
Ibrahim Komi, fondateur de l’espace culturel « Son message à la jeunesse est limpide : « Avec 500 000 francs, j’ai commencé. Aujourd’hui, ce rêve vaut des millions. Si j’ai pu le faire, c’est parce que ma volonté est plus riche que mon compte. »
L’art comme acte patriotique
Pour lui, cet espace n’est pas un simple zoo, mais un parc d’attractions écologiques et culturelles, un lieu de détente et d’éducation. « Tout ce que nous réalisons aujourd’hui, c’est pour la génération future. Nous ne sommes que de passage. Il faut laisser quelque chose de beau derrière nous. » Et de conclure, d’une voix résolue : « Si j’avais fait tout cela dans un autre pays, on aurait dit que j’ai oublié le Burkina Fas. Mais je l’ai fait ici, pour le Burkina. »
Des visiteurs conquis
Parmi les premiers visiteurs, l’enthousiasme est palpable. Madame Coulibaly, habitante de Karpala, découvre le lieu pour la première fois. « J’ai entendu parler du site à la télé. Comme je ne suis pas loin, je suis venue voir, et franchement, je ne m’attendais pas à ça » raconte-t-elle. « C’est un beau coin, en plein centre-ville. Il faut vraiment le valoriser. Le ministère pourrait donner un coup de main au promoteur, parce que c’est rare, un tel endroit ici, (…), le design du grand bateau flottant recyclé, qui trône au milieu du plan d’eau m’a impressionnée. Les grottes souterraines, le bateau avec les poissons. C’est une idée géniale. » Elle conclut avec enthousiasme : « Le coût d’entrée n’est pas élevé. Si les gens venaient un peu plus, cela permettrait d’améliorer encore le site. Et puis, tout est bien encadré, les animaux sont surveillés. C’est rassurant.
Madame Coulibaly, une habitante du quartier en visite : « Le ministère pourrait donner un coup de main au promoteur, parce que c’est rare, un tel endroit ici »
Non loin d’elle, Léa, jeune fille du quartier également en visite, assise en haut de la colline artificielle prend de l’air avec ses copines. « C’est bien, même si ce n’est pas encore fini. On a vu les autruches, les babouins, les poissons… et surtout le bateau » dit-elle en riant. « Un bateau à Karpala ! C’est nouveau chez nous, ça fait plaisir. » Elle imagine déjà la suite : « S’il pouvait ajouter d’autres animaux, faire un coin de restauration, un petit jardin, même une piscine pour les enfants, ce serait top. »
M. Kaboré, lui aussi, un habitant du quartier est là avec ses enfants. Pour lui, c’est un cadre qui idéal pour les enfants et même les adultes. « Dans un quartier comme karpala, c’est la première fois qu’on voit ça, le promoteur a bien pensé et il a bien fait d’oser faire ca pour nous dans le quartier, (…), le prix aussi est abordable, vraiment c’est propre », a-t-il indiqué avec fierté.
Ses mots traduisent à la fois la fierté des habitants et leur envie d’appropriation. Pour beaucoup, ce zoo est plus qu’un lieu de loisir : c’est un symbole d’initiative locale, un souffle de créativité au cœur d’un quartier souvent oublié des circuits touristiques. « Moi, je veux juste que les enfants apprennent à aimer les animaux. Que ce lieu serve à ça. Qu’ils comprennent qu’on peut construire de belles choses ici, sans attendre que tout vienne d’ailleurs », souhaite le promoteur.
Entre passion et réglementation
L’existence d’un zoo en pleine zone urbaine soulève naturellement des questions de sécurité, d’hygiène et de conformité environnementale. Si les visiteurs estiment que les animaux sont bien surveillés, la présence d’espèces parfois sensibles appelle une vigilance accrue. Le promoteur, de son côté, affirme veiller à leur bien-être, mais reconnaît les difficultés liées au manque de moyens et au poids des formalités administratives.
Les autorités locales et les services de l’environnement pourraient trouver ici une belle occasion d’accompagner une initiative citoyenne, tout en s’assurant du respect des règles encadrant la détention et l’exposition d’animaux sauvages.
Un potentiel à cultiver
Le zoo urbain de Karpala représente un pari audacieux pour la ville de Ouagadougou. Entre passion, curiosité, nouveauté et nécessité de régulation, il témoigne d’un besoin réel : celui de recréer du lien entre les habitants et la nature, dans un contexte urbain en pleine expansion. Encore perfectible, le site mérite un accompagnement plus structuré, aussi bien technique que financier, afin de garantir sa durabilité et sa conformité.
Toutefois, aux autorités, de veiller à ce que l’innovation ne se fasse pas au détriment des normes ; aux habitants, de continuer à encourager et soutenir les initiatives locales et au promoteur, de faire de ce zoo un modèle de rigueur et de responsabilité environnementale.